Les groupes sanguins des hommes préhistoriques dévoilés

Une équipe française a reconstitué les groupes sanguins de Néandertal et Denisova, sur la base de quatre individus ayant vécu il y a 100 000 à 40 000 ans. Tous les groupes actuels A, B, AB et O étaient déjà présents à la préhistoire. Des incompatibilités rhésus pourraient expliquer pourquoi Neandertal a disparu.

 

On découvre que les hommes préhistoriques avaient les mêmes groupes sanguin que l'homme actuel  On découvre que les hommes préhistoriques avaient les mêmes groupes sanguin que l'homme actuel © Getty / BSIP / Contributeur

Et si on devait transfuser Néandertal ? Une simple blague peut parfois conduire à des découvertes étonnantes. C'est ainsi qu'à partir de cette question improbable, une équipe pluridisciplinaire de chercheurs a abouti à des résultats riches et surprenants. L'étude, publié dans Plos One, signée de l'unité mixte du CNRS / Aix Marseille Université / Établissement français du sang) réunit des paléoanthropologues, des généticiens et des hématologues. Ensemble, ils ont retrouvé les groupes sanguins de deux espèces archaïques aujourd'hui disparues : l'homme de Néandertal et l'Homme de Denisova. Ils ont, au passage, confirmé pas mal de théories et conforté certaines hypothèses.

Pour parvenir à ce résultat, ces chercheurs ont utilisé des génomes anciens séquencés par les papes du domaines : des paléogénéticiens du département de génétique de l'institut Max Planck à Leipzig en Allemagne. Sur les 15 séquences d'ADN fournies, ils ont sélectionnés quatre individus en raison de la qualité du génome. Trois Neandertaliens et  un Denisovien ayant vécu entre 100 000 et 40 000 ans. Ils ont recherché dans les séquences ADN des gènes de groupes sanguins. "Etrangement, cela n'avait jamais été fait" explique Stéphane Mézières, généticien au CNRS, dans le laboratoire ADES. "Après avoir eu un énorme succès, les groupes sanguins, premiers marqueurs utilisés en anthropologie, sont tombés en disgrâce parce qu'ils ont été remplacés par les génomes. Pourtant, ce sont eux qui ont permis en 1953 de découvrir l'histoire des migrations, le peuplement de l'Amérique par l'Alaska par exemple" raconte Silvana Condemi, paléoanthropologue à Aix-Marseille université. 

Parce que le point de départ était la transfusion, ces chercheurs ont travaillé sur sept systèmes sanguins, en particulier la famille ABO utilisé par l'EFS. Le système ABO comprend les groupes A, B, AB et O. Ils ont aussi étudié une autre famille : les rhésus. Cette information a un double intérêt médical et démographiques. Elle permet de reconstruire l'origine des populations humaines, leurs mouvements migratoires et leur métissage.

La diversité des groupes sanguins d'aujourd'hui étaient déjà présents chez Néandertal

Première confirmation importante : les néandertaliens et les dénisoviens ont une origine africaine. "On ne s'attendait pas à cette confirmation si importante" souligne Silvana Condemi. L'unique Denisovien de l'étude est lui du groupe O. Deuxième découverte, surprenante celle-là : la variabilité du système ABO, autrement dit la diversité des groupes sanguins, présente aujourd'hui dans notre espèce Homo Sapiens, existait déjà du temps de Néandertal. Jusqu'ici, cette espèce était réputée de signe O exclusivement. "Du côté du rhésus, les quatre néandertaliens, alors qu'ils sont répartis sur 4 000 km de distance et 50 000 ans de temps, sont tous de rhésus mais incomplet. De plus, ces néandertaliens possèdent une particularité dans leur rhésus qu’on croyait unique. Or, en cherchant bien, on a retrouvé cette particularité dans le génome d'un aborigène d'Australie et un papou !" se réjouit-elle. Preuve qu'il y a eu métissage entre l'homme moderne et Neandertal, ce que les chercheurs appellent "ingression", c'est à dire que c'est bien un gène hérité de Néandertal qu'on retrouve chez ces deux individus vivants à l'autre bout du monde. Cela apporte des informations majeures sur l'histoire du peuplement d'homo sapiens. Avant de migrer en Océanie, il y a au moins 65 000 ans, nos ancêtres se sont métissés avec Néandertal plus à l'Ouest. "Finalement, ce qui est marquant, c'est de voir à quel point il est aisé de lire l'histoire de notre espèce et de ses migrations à partir des groupes sanguins" insiste Silvana Condemi.

Des gènes spécifiques, indices pour expliquer la disparition de Neandertal

L'équipe a aussi mis en évidence deux marqueurs génétiques : l'un est le signe d'une adaptation à l'exposition d'un virus responsable de diarrhées. Pour Stéphane Mazières, "on peut supposer que ces populations néandertaliennes ont été exposées suffisamment longtemps à ces virus, pour pouvoir fixer dans leur patrimoine génétique cette forme avantageuse de gène". Cela ne leur aura pourtant pas suffi, puisqu'à la fin, elles ont disparu.  

Neandertal a peut-être aussi été victime de la maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né. "Cette maladie" explique Stéphane Mazières "résulte d'une incompatibilité sanguine entre la mère et le nouveau né". Dans le cas d'une mère néandertalien et d'un père Homo sapiens ou dénisovien, il y a un conflit rhésus. "La grossesse est alors perçue par le corps de la mère comme une greffe avec un corps étranger et la mère se défend en produisant des anticorps. Ces anticorps viennent attaquer les globules rouges du fœtus, ce qui provoque une anémie potentiellement létale". Si ces grossesses se passaient mal, cela diminuait d'autant la reproduction. À la fin, dans les petits groupes de Néandertaliens, il n'est plus resté assez d'individus pour perpétrer l'espèce. Pour cette équipe, c'est un indice de plus pour expliquer la disparition de cette lignée humaine.

SOURCE : France inter par Sophie Bécherel publié le